EDITORIAL

Applications, santé connectée et médecine maritime.

Ces dernières années ont vu l’explosion d’applications médicales et sanitaires disponibles en téléchargement, certaines destinées aux soignants, d’autres plus nombreuses, destinées aux patients et au grand public. De même plusieurs objets connectés permettant un accès facile à des données de santé et à leur transfert sont actuellement disponibles et en pleine expansion. Récemment, logiquement et sans surprise, des applications spécifiquement destinées aux marins ont été proposées et sont disponibles sur Apple ou Android applications.

D’après les concepteurs et les développeurs, ces applications auraient toutes pour but de permettre aux marins de suivre leur état physique et mental en effectuant des auto-évaluations régulières. Elles peuvent inclure des questionnaires sur l'anxiété, la dépression et le stress, et fournir des ressources pour la gestion de la santé mentale. Les marins peuvent accéder à des services de soins et de soutien en ligne pour discuter de leurs préoccupations avec des professionnels de la santé mentale. Cela serait particulièrement utile pour ceux qui travaillent sur des navires pendant de longues périodes. Certaines entreprises développent également des dispositifs portables qui mesurent des paramètres physiologiques tels que la fréquence cardiaque et les niveaux de stress. Ces données peuvent être analysées pour détecter des signes de détresse mentale et alerter les marins ou leurs supérieurs. Des applications éducatives offrent des formations sur la santé mentale et des techniques de gestion du stress. Ces programmes pourraient, toujours selon les concepteurs, être intégrés dans les formations de sécurité maritime pour sensibiliser les marins aux problèmes de santé mentale.

Le programme de "Maritime Wellbeing" est destiné à favoriser le bien-être des marins et d’aider à atteindre un objectif d'une industrie zéro incident. Un chapitre particulier est consacré à la santé mentale. Dans le cadre de ce programme, les gens de mer et les gestionnaires de navires peuvent entreprendre un certain nombre d’activités courtes et faciles à exécuter à bord. Les marins peuvent également télécharger une liste des endroits où obtenir de l'aide à distance auprès des fournisseurs de support. Ceux-ci sont conçus pour promouvoir une bonne santé physique et mentale, pour fournir des conseils pratiques, des outils et des stratégies pour améliorer le bien-être individuel et pour créer une culture de soins.

"IMEQ Well Being", Une série de "posts" hebdomadaires apportent conseils et accompagnement de bien-être. Il est possible également de participer à des forums. Toute personne ayant besoin d'un soutien plus approfondi en matière de santé mentale peut contacter un centre d’aide à distance. IMEQ Center revendique d’ailleurs d’être le premier centre mondial à évaluer l’état mental des marins grâce à l’intelligence artificielle.

Récemment une nouvelle application pour smartphone a été développée par "Halcyon Health Network" aux Philippinesdans le but de surveiller la santé et l’état mental des marins.

Alors gadget ou progrès ? Les contenus de ces applications suivent généralement les recommandations internationales en matière de santé en milieu maritime. Elles peuvent cependant être redondantes, mais pas forcément contradictoires, avec des dispositifs déjà existants. Il est trop tôt pour connaître l’intérêt réel de ces dispositifs ; on ne dispose à l’heure actuelle d’aucune évaluation méthodologiquement bien conduite. Les seuls travaux qui y sont consacrés semblent montrer qu’elles sont bien acceptées dans le milieu maritime. Les marins ont généralement de bonnes compétences dans les outils numériques, et les téléconsultations et les soutiens "distenciels" font déjà partie de leurs pratiques*

Plusieurs problèmes se posent néanmoins et méritent réflexion. La sécurité en premier lieu. C’est d'abord comprendre comment les développeurs collectent et partagent ces données. Ces applications, ou les dispositifs connectés, peuvent recueillir plusieurs types de données : position, informations personnelles … Les pratiques concernant leur confidentialité et leur protection peuvent varier selon leur utilisation, le type d’emploi, la région et l’âge. Le développeur qui a fourni les informations peut éventuellement les modifier ultérieurement. L’autre élément qui peut mériter une réflexion est de savoir si le "colloque singulier" avec une "appli" améliore ou accroît le sentiment d’isolement….

Comme toujours lors de l’apparition de nouvelles technologies, il faut se garder de deux écueils : un enthousiasme débordant et une confiance aveugle devant la nouveauté ou un refus de changement non basé sur une évaluation objective. Ces techniques existent ; on peut prévoir qu’elles se développeront avec leurs défauts et leurs qualités. Il faudra forcément s’y intéresser….

Pr Jean-Pierre AUFFRAY

Président de la SFMM

*Voir  : Exploration of Seafarers’ Mobile Proficiency as a Prerequisite for Possible Health App-based Health Promotion on Board. Luciano Cemil Arslan, Dorothee Dengler, Lukas Belz, Felix Alexander Neumann, Birgit-Christiane Zyriax, Volker Harth, MD1, and Marcus Oldenburg, INQUIRY: The Journal of Health Care, Organization, Provision, and Financing 2023 Volume 60: 1–9